
l'Épaule
La DOULEUR
Malgré notre intuition initiale, la rupture de la coiffe et la tendinite ne sont pas nécessairement douloureuses. Elles jouent certainement un rôle dans la genèse de la douleur, mais on peut très bien vivre avec un tendon de la coiffe rompu sans ressentir beaucoup de douleur.
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À quelques exceptions près, dès qu’on comprend son mécanisme, on peut rapidement gérer la douleur, bien avant d’envisager la chirurgie. Certains patients peuvent ainsi reporter, voire éviter totalement une opération, et la très grande majorité ne recourt plus aux infiltrations. Non, je ne vous envoie pas chez le rebouteux.
La plupart du temps, il n’existe pas une douleur de l’épaule, mais plusieurs douleurs, de natures différentes, avec des localisations différentes, et dont les solutions sont évidemment différentes.
On a affaire à un puzzle douloureux dont les pièces s’influencent mutuellement, et nous les examinerons séparément, chapitre par chapitre.
Nous allons ainsi discuter du grand classique – la douleur sous-acromiale, dont se plaignent la plupart des patients, de l’irradiation bicipitale, puis de la douleur acromio-claviculaire, de celle liée à la raideur articulaire, des contractures musculaires, et enfin de la douleur arthrosique.
La douleur de l’algodystrophie, de la calcification et la douleur liée à la compression du nerf supra scapulaire feront l’objet de chapitres séparés, car elles évoluent d’une manière autonome.
La DOULEUR SOUS ACROMIALE
LE GRAND CLASSIQUE
C’est très probablement pour cette douleur-là que vous êtes venus me voir. Vous pensiez peut-être que c’était la coiffe qui faisait mal, mais souvenez-vous, je vous avais dit que ce n’était pas la coiffe. En effet, il semble bien que les tendons de la coiffe ne soient pas douloureux, ni lorsqu’ils sont rompus, ni même lorsqu’ils présentent une tendinopathie.
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À l'origine, nous étions convaincus, tout comme nos patients, qu’un tendon rompu ou inflammé était forcément douloureux. C’est intuitif : quelque chose de déchiré ou inflammatoire doit faire mal. Pourtant, cela ne collait pas avec ces patients qui vivaient des années avec un tendon rompu sans se plaindre, ni avec les observations des anatomopathologistes qui ne retrouvaient jamais suffisamment d’inflammation dans le tendon pour expliquer une douleur aussi importante.
Nous avons progressivement compris que la douleur vient en réalité de la bourse sous-acromiale, et cela change tout.
Entre-temps, il est devenu clair que le tendon lui-même n'est douloureux que pendant les deux premières semaines suivant la rupture. C’est à ce moment-là que le tissu fraîchement déchiré fait mal : il y a un petit hématome, tout est à vif… mais, comme lorsqu'on se coupe le doigt, la douleur s’atténue assez vite.
Le tendon peut également être douloureux lorsqu'il s'agit de petites ruptures partielles, où les fibres non rompues, situées juste en bordure de la rupture, sont mises sous forte tension par le muscle. Mais dès que cette petite zone de rupture s’agrandit, la douleur s’estompe. Cela contredit complètement notre intuition initiale selon laquelle plus grande serait la rupture, plus grande serait la souffrance.
La douleur que l’on prenait pour une douleur de rupture tendineuse provient en réalité d’une structure très fine, qui recouvre les tendons et contient la grande majorité des terminaisons nerveuses de cette zone : la bourse sous-acromiale.
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Cette bourse est une sorte de sac aplati, contenant un fin film de lubrifiant permettant à la tête humérale et aux tendons de la coiffe de glisser facilement sous l’acromion et sous le deltoïde. Imaginez un ballon de baudruche dégonflé dans lequel vous mettez une goutte d’huile. Vous chassez ensuite l’air et faites un nœud. Les deux parois du ballon pourront alors glisser l’une contre l’autre avec très peu de frottement.
Nos mains sont nos outils et les épaules servent à placer avec précision ces outils dans l’espace afin qu’on puisse s’en servir. Le muscle responsable de ce placement est le deltoïde. On n’a pas beaucoup d’accès aux objets que l’on veut manipuler si nos coudes restent collés au corps, alors ce muscle très puissant va s’activer lors de chaque utilisation de notre main. Si on se sert de nos mains toute la journée, nous contractons notre deltoïde toute la journée aussi, pour le moindre geste, que ce soit du travail lourd ou des gestes les plus banals de notre quotidien.
Le problème c’est que le deltoïde, lors de chaque contraction a tendance à monter la tête humérale contre l’acromion. Ainsi, chaque fois qu’on se sert de ses mains, le deltoïde écrase la bourse sous acromiale qui se situe entre la tête humérale et l’acromion et fait frotter ses deux feuillets l’un contre l’autre sous pression.

Pourtant, la vaste majorité des gens ne finissent pas avec des bursites inflammatoires, tout en se servant sans restriction de leurs mains et, bien entendu, de leurs deltoïdes. Cela s’explique par le fait que, lors de la contraction du deltoïde, la tête humérale n’est pas censée s’écraser contre l’acromion. Juste avant que le deltoïde ne se mette en tension, dès qu’on a l’intention de toucher quelque chose avec nos mains, les muscles de la coiffe des rotateurs se contractent, stabilisant ainsi la tête du humérus.
Une rupture ou une tendinopathie d’un ou de plusieurs tendons de la coiffe va obligatoirement perturber la capacité des muscles de la coiffe des rotateurs à garder la tête humérale à sa place. Si l’attache de l’un ou de plusieurs des muscles de la coiffe des rotateurs est déficitaire, ils deviennent incapables de remplir leur fonction, et lors de chaque contraction du deltoïde, qui vise a permettre l’accès à nos mains aux différents objets qu’on veut manipuler, la tête humérale monte contre l’acromion.
La bourse sou-acromiale est prévue à cet endroit justement pour permettre une liberté de glissement entre l’humérus avec ses tendons et l’acromion avec son deltoïode, mais à force de la faire frotter sous une compression quasi permanente elle devient inflammatoire. Si vous voulez bien vous laver les mains et ensuite frotter une dizaine de fois avec le pouce contre votre gencive, cela ne vous fera probablement aucun effet. Si, par contre, vous continuez à frotter pendant une semaine entière, des milliers de cycles par jour…
Une fois que l’inflammation est installée, chaque utilisation de la main, la moindre contraction du deltoïde mettra en compression une bourse sous acromiale fort inflammatoire qu’on peut désormais appeler une bursite sous acromiale. C'est bien entendu très douloureux, mais cela entraînera surtout d’avantage d’inflammation.



La DOULEUR NOCTURNE
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Ce qui fait mal la nuit, c’est l’inflammation de la bourse sous acromiale.
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Toute structure de notre corps qui subit un phénomène inflammatoire sera plus douloureuse pendant la deuxième partie de la nuit en vertu d’une combinaison particulière des hormones qui se secrètent pendant cette période. Chaque fois que vous vous êtes servi de vos mains, votre deltoïde a rajouté à l'inflammation de la bourse sous acromiale. Même s’il vous a semblé raisonnable de peindre vos volets, vous allez mesurer le degré d’inflammation que vous avez rajouté la nuit suivante.
A part les hormones, il entre en jeu le principe des vases communicants. Vous avez eu forcement l’expérience d’un doigt coincé dans une porte. Rappelez vous ce qu’il se passait quand vous gardiez la main en bas : le doigt inflammé pulsait et faisait mal et il suffisait de le soulever pour que la douleur s’atténue immédiatement.
Sans le savoir vous étiez en train de jouer avec la pression hydrostatique au niveau des capillaires du tissu inflammé, moins de pression – moins de douleur. Quand on est debout, les épaules avec la bourse sous acromio deltoïdienne inflammée sont placées au dessus du niveau du coeur – moins de pression. Une fois à l’horizontale vous perdez cet avantage hydrostatique.
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Il y a une troisième explication pour l’augmentation de la douleur pendant la nuit qui tient également de la pression. En position couché, la gravité ne tire plus tout le poids de notre bras vers le bas et la pression augmente entre la tête humérale et l’acromion, ce qui augmente bien entendu la pression au niveau de la bursite.
La CONTRACTURE DU DELTOIDE
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Cette bursite sous acromiale est la source principale des douleurs mais elle n’est pas la seule. La face profonde d’une partie du deltoïde et le nerf qui le commande sont en contact avec la bourse sous acromiale inflammée.
Cela va progressivement dégénérer dans une contracture des fibres profondes du deltoïde qui se manifeste par une douleur sur une zone assez précise sur la face latérale du bras, pile au milieu. C’est l’insertion humérale du deltoïde appelée le V deltoïdien à cause de la forme de son empreinte sur l’os.
On va instinctivement essayer de limiter les mouvements au niveau de l’épaule afin de tenter de réduire les frottements à ce niveau. Afin d’obtenir cela on met en tension quasi permanente trois muscles principaux: le deltoïde, le trapèze supérieur et le petit pectoral.
Inutile de dire que le deltoïde qui est déjà irrité par la bursite sous acromiale, une fois mis en tension par ce réflexe de protection générera encore plus de compression au niveau de l’espace sous acromial et ne fera qu’aggraver l’inflammation de la bourse sous acromiale.



La CONTRACTURE DU TRAPEZE SUPERIEUR
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Le trapèze supérieur essaye tant bien que mal d’éloigner l’acromion de la tête humérale, mais il n’est pas équipé pour ce type de travail, ce qui le conduit rapidement, lui aussi, à une contracture très douloureuse. La grande majorité des patients présente une combinaison entre la douleur sous acromiale, la contracture du deltoïde et la douleur au niveau du trapèze supérieur.
Je disais au tout début qu'il y a moyen de se débarrasser de ces douleurs ou au moins les soulager d'une manière significative en attendant l'IRM, ou l'échographie, le rendez vous avec le médecin ou qu'il se libère une place chez le kinésithérapeute. Oui, j'avais bien dit sans infiltration.
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Faisons un petit bilan: pour une raison ou pour l'autre, votre coiffe des rotateurs ne fonctionne pas, le deltoïde se contracte lors de chaque utilisation de la main (c'est a dire toute la journée) et vous avez fini avec une bursite sous acromiale très douloureuse. Celle-ci irrite le deltoïde qui développe des contractures, mettant ainsi davantage de pression sur la bourse sous acromiale qui est déjà inflammée. Le trapèze supérieur se met en tension essayant de soulever l'acromion et fini par faire des contractures douloureuses aussi.
Le grand coupable c'est le deltoïde, même si dans toute cette histoire il est le seul à fonctionner comme il était prévu de le faire. C'est bien-entendu la faute de la coiffe des rotateurs qui devrait empêcher l'humérus de monter, mais en attendant de voir ce qu'on va en faire de ses problèmes il serait bien confortable de soulager la douleur.
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Il faut relâcher. Si on arrive à contrôler le deltoïde et le trapèze, les trois foyers douloureux vont progressivement se calmer. On redresse la cage thoracique, on laisse tomber les épaules et on essaye de passer autant de temps que possible ainsi. Palpez les deux muscles, essayez d'apprendre comment on fait pour les relâcher et tâchez de passer le plus possible du temps de la journée ainsi.
C'est pas facile pour tout le monde, certains d'entre nous sont tout simplement incapables de le faire, on leur demande de laisser tomber les épaules et ils serrent les bras contre le corps, on leur dit de ne pas serrer les bras et ils sont perdus. Il y a certainement un certain degré d'apprentissage impliqué, j'ai eu des patients qui ont fini par recourir à la sophrologie, tellement qu'ils ne savaient pas comment s'y prendre.
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Pour les contractures musculaires qui sont déjà constituées et donc impossibles de relâcher, l'ostéopathie peut être une solution de secours. Dans ce cas vous obtiendrez une levée de la contracture sur le moment, mais elle a tendance à se reconstituer au bout de quelques jours si vous ne faites pas l'effort de desserrer et de contrôler vos épaules par la suite.
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Le deltoïde est programmé pour se contracter dès que vous vous servez de votre main, même si vous n'avez pas l'intention de décoller les coudes du corps, mais il y a moyen de séparer ces deux phénomènes. Essayez de prendre un peu de temps pour réfléchir comment vous allez faire telle ou telle tache, de vous installer et de placer l'objet de votre activité de sorte que vos épaules puissent rester relâchées le plus possible du temps. La tête humérale passera moins de temps dans la journée à écraser la bourse sous acromiale, l'inflammation va diminuer petit à petit et au bout de la première semaine vous pourriez déjà dormir une nuit.
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Il n'est pas naturel de se servir de ses mains ainsi, mais le résultat vaut la peine, cela marche mieux que votre doliprane, votre ibuprofène et votre gel d'aloé véra.
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Cette solution est un palliatif temporaire, pour tenir à peu prés confortablement jusqu'au jour quand on discutera de la vraie solution: comment faire fonctionner cette articulation comme elle l'est censée, autrement dit: comment récupérer un équilibre normal entre la coiffe, les stabilisateurs de l'omoplate et le deltoïde.


La CONTRACTURE DU PETIT PECTORAL
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Le petit pectoral est un muscle qui s’insère sur trois côtes sur l’avant de la cage thoracique et il est couvert intégralement par le grand pectoral.
On met ce muscle en tension afin d’emmener l’épaule qui fait mal au plus prés de notre champ visuel. On fait cela en vertu d’un bête réflexe de protection, nous ramenons ce qui nous fait mal (quand c’est possible) dans notre champ visuel afin de pouvoir le protéger. Ça sert à rien, à vrai dire, mais regardez un enfant qui se fait mal au genou. Il ramène son genou dans son champ visuel pas parce que ça soulage la douleur, mais parce qu’il ne peut pas protéger ce qu’il ne voit pas.
Le petit pectoral essaye de maintenir l’épaule dans notre champ visuel et dans son cas cette tension permanente se manifeste non pas par une contracture musculaire comme dans le cas du trapèze supérieur ou du deltoïde, mais par une douleur en point fixe au niveau de son tendon. Pour trouver cette douleur il faut enfoncer un doigt à la limite entre le grand pectoral et le deltoïde antérieur.
Cette douleur, une fois installée est très difficile à soulager. Fréquemment c'est la dernière douleur à disparaître. Plein des choses ont été tentées en vain, mais au final, il n’y a qu’un seul moyen fiable de le faire - tirer dessus afin de le rallonger à sa taille normale. Votre kinésithérapeute se chargera de cette tache désagréable en poussant l’omoplate en arrière. Il est essentiel, ou même plus important de faire des petites séries d’étirements, au moins deux fois par jour, tous les jours, à la maison, sinon vous condamnez votre kiné à un travail de sisyphe, car ce que vous avez gagné en fin de séance se perd rapidement le lendemain.

La DOULEUR ACROMIO CLAVICULAIRE
C'est une douleur précise, en point fixe en regard de l'articulation entre la clavicule et l'acromion et il s'agit strictement d'un problème de posture.
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Une vaste majorité des patients que je vois en consultation ont, entre autres, une arthrose plus ou moins avancée à ce niveau, mais il est exceptionnel qu'elle soit douloureuse. Cette articulation ne deviendra douloureuse, qu'il y ait encore du cartilage ou plus du tout, que chez les patients qui présentent une omoplate enroulée vers l'avant.
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Cette malposition de l'omoplate met en compression l'articulation, la maintenant ainsi jusqu’à ce qu'elle devient douloureuse. Si on corrige la posture, la douleur disparaît.
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Des nombreux patients présentent une combinaison entre un petit pectoral raccourci par un enroulement chronique de l'omoplate et une arthropathie acromio-claviculaire. Dans leur cas, quand on essaye de corriger la posture, on est empêché par la longueur insuffisante du petit pectoral. Nous sommes alors obligés de recourir d'abord aux étirements du petit pectoral, puis d'appliquer la correction de la posture de la cage thoracique et de l'omoplate.
La RAIDEUR DOULOUREUSE DE LA CAPSULE ARTICULAIRE
Attention, il ne s'agit pas de ce qu'on appelait à une époque la capsulite rétractile.
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La capsule articulaire est un manchon fibreux qui couvre d’une manière étanche chaque articulation du corps. Au niveau de l’épaule elle est obligatoirement très souple afin de permettre la mobilité exceptionnelle de cette articulation. Nos collègues lyonnais insistent sur le fait que la raideur de cette capsule articulaire n’est pas pareille que celle des autres articulations. En temps normal, une capsule qui est immobilisée ou peu mobilisée perdra progressivement sa souplesse ce qui limitera les amplitudes du mouvement de l’articulation en cause.
La raideur de la capsule de l’épaule a la particularité d’être douloureuse. Dès qu’on arrive à récupérer la souplesse, la douleur disparaît, et il n’y a qu’un seul moyen d’obtenir cela - il faut tirer sur la capsule.
Afin de tirer sur la capsule, on doit mobiliser l'humérus et empêcher l’omoplate de le suivre. Si l’omoplate n’est pas bloquée, on peut passer un an à faire l’araignée sur le mur, pousser le chiffon sur la table ou tirer sur les poulies et le résultat sera toujours aussi médiocre.
Il n’y a que deux moyens de le faire: soit c’est votre kinésithérapeute qui bloque l’omoplate avec une main et tire sur le bras avec l’autre, soit on la fixe avec le poids de la cage thoracique contre un plan ferme tel un tapis de yoga ou la table de massage. Rien d’autre et cela suffit.
Quand on tire sur une capsule raide, on vise à produire des petites déchirures des adhérences et de la capsule même, ce qui forcement n’est pas agréable, mais si c’est fait correctement, ça vaut largement la peine de serrer les dents pendant quelques minutes.
Comme dans le cas du petit pectoral et de toute autre structure qu’on se met a étirer, on reperd de l’amplitude entre les séances d’étirement. Le seul moyen de l’éviter et d’accélérer ainsi l’évolution c’est de faire des courtes séances d’entretien, plusieurs fois par jour, couché sur un tapis.