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Vous n’aurez pas le temps de lire ces lignes avant d’arriver aux urgences avec une épaule luxée et je ne vous condamne pas, une luxation ça fait très mal.

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C'est inutile alors de discuter de ce qu'il faut faire si vous venez de luxer pour la première fois en tombant de votre cerisier, on discutera directement de ce qu'il se passe après la réduction.   

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J’espère juste que vous n’avez pas fait votre «arme fatale» avant, c’est une bétise réservée aux instabilités récidivantes.  J'espère aussi que personne n'a eu l'idée brillante de vous réduire l'épaule directement sur le terrain de foot, juste pour avoir une bonne histoire à raconter à table le soir.   Il est fortement déconseillé de réduire une première luxation sur place, sans avoir fait une radiographie auparavant, car dans quelques rares cas on risque une fracture catastrophique de la tête humérale.  Si vous êtes tombé sur cette page en cherchant sur google "comment réduire les épaules déboîtées", passez votre chemin, je ne vous l'apprendrai pas, ça peut laisser des séquelles à vie.  

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Alors vous vous retrouvez aux urgences, une fois que vous avez passé la radio, on vous a réduit la luxation et vous rentrez avec votre écharpe, la question qui se pose est «et maintenant?». Bonne question, nous nous la posons toujours, il y a un tas de littérature publié sur ce sujet, mais les opinions divergent sur certains aspects.

L’immobilisation: combien de temps? Probablement deux semaines c’est le plus raisonnable, le temps que les tissus déchirés se calment. La cicatrisation primaire n’intervient que vers 6 semaines et la cicatrisation définitive est considérée intervenir au-delà de 3 mois. Si on vous immobilise pendant au moins 6 semaines, votre articulation redeviendra peut-être stable, mais guère fonctionnelle car elle sera trop raide. Si on vous immobilise moins de 2 semaines, quelques auteurs d’études n’ont pas trouvé de conséquences dramatiques sur la stabilité ultérieure, mais vous risquez d’avoir quelques douleurs en attendant que les tissus se calment.

Le problème qui se pose après une première luxation traumatique est si le labrum et les ligaments qui sont attachés sur celui-ci cicatriseront à leur place ou pas. Si ils ne cicatrisent pas ou si ils le font mais pas au bon endroit, l’articulation de l’épaule deviendra instable et va se disloquer sans traumatisme. Vous allez alors vous retrouver périodiquement aux urgences après avoir tenté de jeter un noyau d’abricot dans le jardin des voisins ou après vous avoir entêté d’enfiler une chemise qui vous est devenu trop petite il y a des années.

 

Lors de la luxation, la contraction violente des muscles péri articulaires qui essayent d’empêcher la tête humérale de sortir de l’articulation intervient bien évidemment trop tard, quand la tête se retrouve déjà à coté de la glène et ils enfonceront le bord de la glène dans la tête humérale, comme une hache. Cette empreinte y restera car l’humérus est incapable de la combler spontanément et quand elle est trop large, dans certaines positions le bord de la glène peut s’y engager de nouveau, conduisant à une nouvelle luxation sans aucun traumatisme.

Nous mesurons le taux de réussite de tel ou tel traitement à l’aide de ce taux de récidive des luxations dans des conditions banales. Plus le traitement est fiable, moins il y a des cas de nouvelle luxation.

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L’immobilisation, si on la regarde de ce point de vue, n’est pas fiable. Un peu plus de la moitié des patients partent sur un scénario des luxations à répétition et chez ceux de moins de 18 ans, c’est plus de trois quarts qui garderont une articulation instable.

 

Il y a pourtant un moyen d’immobiliser qui rend un résultat excellent, avec un taux des luxations à répétition très bas, mais aucun patient n’accepte de garder cette position de salut pendant 4 semaines et nous sommes restés sur le modèle coude au corps classique.

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Pourquoi alors ne pas opérer d’emblée, si on a plus de chances de luxer de nouveau et de devoir passer sur le billard à un moment ou autre pour ce problème? La question est légitime, mais vous regardez la situation du mauvais angle de la statistique. L’immobilisation simple évite la chirurgie à plus de 45% des patients, ce qui n’est pas négligeable, tenant compte du fait que cette méthode ne comporte pas les mêmes risques que la chirurgie. Sinon, presque un patient sur deux subirait une chirurgie inutile.

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Alors c’est la troisième fois que vous revenez des urgences et vous commencez à vous poser des questions, notamment si c’est raisonnable de continuer de cette manière. Si vous avez plus de 40 ans, vous avez une chance sur trois d’avoir rompu un tendon de la coiffe, au-delà de 60 ans cela arrivera chez 4 patients sur 5, un patient sur cinq va développer une arthrose au bout de 10 ans, alors vous avez raison, ce n’est pas raisonnable.

L’opération de Latarjet est communément appelée une butée osseuse, car on fixe un fragment de la coracoïde avec le tendon toujours attaché devant la glène, à l’aide de deux vis. Cette intervention contrairement à la précédente, a pour objectif de modifier considérablement l’anatomie de l’articulation et non pas de la ramener à son état initial. On va détacher le tendon du petit pectoral, on va sectionner l’apophyse coracoïde qui remplira désormais un rôle de greffe osseuse et ensuite la coracoïde avec le tendon conjoint seront passés à travers le muscle sub-scapulaire et fixés à la glène par deux vis. La coracoïde fera office d’extension de la surface d’une glène trop étroite et le tendon conjoint va maintenir le sub-scapulaire devant la tête humérale quand elle essayera quand même de luxer. Cette chirurgie se fait à ciel ouvert, car les risques de lésion nerveuse irréversible auxquels on s’expose avec sa variante sous arthroscopie ne sont pas justifiés.

La méthode Bankart sous arthroscopie permet de réparer le bourrelet glénoïdal que vous avez arraché lors de votre première luxation. Étant donné que le bourrelet sert comme insertion pour les ligaments, vous finirez également avec les ligaments attachés à la bonne place. Si l’encoche osseuse derrière la tête humérale est trop large, on pourra en même temps la combler. Il s’agit donc d’une chirurgie réparatrice, dont l’argument principal est le fait qu’elle soit pratiquée sous arthroscopie, par 2 ou 3 petites incisions.

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Lors de votre rendez-vous nous allons discuter de deux méthodes chirurgicales, le Bankart et le Latarjet, dont on devra choisir la plus appropriée. Dans la plupart des cas c’est moi qui choisirai pour vous, mais si le choix est partagé, vous aurez un droit de vote.

Comme vous pouvez le constater, les deux interventions sont complètement différentes et elles s’adresseront à des indications différentes.

 

Le principe du choix est le suivant: si votre épaule d’avant la luxation était parfaitement stable et tout ce qu’il lui manque pour le redevenir est un bourrelet et des ligaments correctement insérés, alors vous aurez besoin d’une réparation sous arthroscopie – donc d’un Bankart.

 

Si au contraire, votre épaule avant la première luxation avait déjà une certaine prédisposition anatomique: une glène trope étroite ou mal-orientée, ou si lors de la luxation un fragment de la glène avait été fracturé et elle est devenue trop étroite, le fait de réparer simplement le bourrelet ne suffira point, car on obtiendra une articulation imparfaite, avec une prédisposition pour l’instabilité, et il vous faudra un Latarjet.

 

Pareillement, si vous comptez vous engager ou continuer à pratiquer des sports ou des activités qui prédisposent aux luxations, le fait de récupérer une anatomie originale sera une solution médiocre, car votre anatomie originale était parfaitement suffisante pour assumer les activités banales, mais pas pour les contraintes excessives et l’indication retenue sera celle d’un Latarjet.

 

Les deux interventions ne sont pas particulièrement douloureuses en post opératoire et on vous demandera de garder l’écharpe pendant environs un mois, tout en vous permettant de la sortir de temps en temps à partir de la deuxième semaine pour relâcher votre bras, manger, changer des vêtements, écrire une lettre, boire un thé et prendre une douche.

 

Les patients reprennent la conduite entre 6 semaines et 2 mois tout en restant raisonnables par rapport à leur capacité limitée de réagir avec promptitude lors de certaines événements de la route, la reprise des sports tels que la course à pied sera autorisé vers 2 mois et le handball vers 6 mois, à condition d’avoir récupéré un contrôle scapulaire impeccable.

 

Il existe une catégorie exceptionnelle des patients avec qui on discutera d’une chirurgie dès le premier épisode de luxation.

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Certains métiers à risque tel les élagueurs grimpeurs ne peuvent pas se permettre de luxer car cela les expose à un risque d’accident potentiellement mortel. Dans leur cas, le risque de plus 50% n’est pas banal. Certains sportifs de haut niveau préféreront éviter de passer par une phase initiale d’immobilisation, puis rééducation pour finir avec un risque de 60% d’instabilité, car un deuxième épisode les arrêtera de nouveau et ainsi de suite et ils opteront pour une chirurgie d’emblée. Les jeunes de moins de 18 ans avec une luxation traumatique récente seront, eux aussi, opérés avant que ça ne luxe une deuxième fois, car leur risque d’instabilité résiduelle dépasse 75%.

 

Il y a également des patients qui ne seront jamais opérés – les patients avec une instabilité sur un fond d’hyper-laxité. Leur solution sera la kinésithérapie qui va viser à obtenir un contrôle parfait de l’ouverture scapulaire et une coaptation articulaire impeccable par des muscles excessivement renforcés de la coiffe des rotateurs.

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© 2020 par Dr Roman MARCHITAN

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