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La TENDINOPATHIE DE LA COIFFE DES ROTATEURS

et la DISGRÂCE DE L'ACROMIOPLASTIE

En 2013, après 40 ans d’éradication systématique du bec sous acromial, la Société Française d’Arthroscopie nous a recommandé enfin de renoncer à l’acromioplastie. Je dis enfin, mais à l’époque j’étais tout aussi abasourdi que le reste de mes confrères, car l’acromioplastie était la première intervention qu’on m’avait enseigné a faire quand on était interne et elle avait toujours été la fondation de la majorité des interventions sur l’épaule.

 

Si l’épaule faisait mal, on avait droit à une acromioplastie. On la pratiquait souvent seule, mais aussi en accompagnement d’une réparation des tendons de la coiffe ou d’une ténodèse du biceps.

 

Alors, qu’est ce qu’on fait de votre bec sous acromial qui frotte et frotte contre les tendons de la coiffe ? Aujourd’hui il est peu probable qu’on y touche. C’est la coiffe qui frotte contre l’acromion et pas l’inverse. Il s’est avéré être le fruit de notre imagination collective. Une ombre chinoise qui menaçait la coiffe des rotateurs sur les cliches radiologiques de face. Il a suffit que l’on tourne les patients et qu’on regarde sur les radiographies de profil pour constater que l’acromion n’envahissait nullement l’espace réservé aux tendons de la coiffe. Il s’agit d’une ossification du ligament acromio-claviculaire qui est la conséquence et non pas la cause de l’inflammation de la bourse sous acromiale. Ce ligament est tendu comme une corde en temps normal, alors le fait qu’il soit en partie ossifié ne change pas grand-chose.

 

Cela paraît simple, mais nous avons mis du temps pour en arriver là.

Charles Neer est le père de la chirurgie moderne de l’épaule. Avant lui, on s’est essayé à plusieurs reprises à cette articulation qu’on ne comprenait pas, mais les résultats était médiocres. A l’époque, on appliquait encore une méthode empirique consistant à faire des essais avec telle ou telle méthode et si les ventouses ne soulageaient pas assez, on essayait les pendulaires, l’aspirine etc. Inutile de vous dire à quel point c’était frustrant pour tout le monde. Même si parfois on tombait sur quelque chose qui marchait, la plupart du temps c’était du placebo, autant pour le patient que pour le médecin.

 

Le docteur Neer s’y était pris d’une manière différente, il a d’abord essayé de comprendre d’où venait la douleur, puis il est venu avec une hypothèse. Selon ses constats, une majorité des patients se plaignant des douleurs de l’épaule présentaient une anomalie au niveau de l’acromion et il avait conclu que c’était cet acromion avec un bec en avant et vers le bas qui agressait les tendons de la coiffe.

 

Il avait divisé l’évolution en trois stades : inflammation du tendon (la tendinite de la coiffe), la modification de la structure du tendon avec l’apparition de premières déchirures partielles et le stade III – le bec acromial continuait à frotter sur le tendon jusqu’à ce que l’usure l’achevait. Il s’était mis alors à pratiquer une intervention qui visait à aplatir l’acromion afin de supprimer ce conflit sous acromial et il a publié ses conclusions en 1972. La solution qu’il avait trouvé était logique car on s’attaquait directement à l’origine du problème et les premiers résultats étaient encourageants.

 

En 1986 Bigliani rajoute une couche en constatant que les acromions plus incurvés étaient associés à un risque élevé de rupture des tendons de la coiffe des rotateurs. Tout le monde s’est alors jeté sur l’acromion et c’est ainsi qu’on a mis les bases d’une des interventions chirurgicales les plus populaires et inutiles de notre histoire récente – l’acromioplastie. Dans la variante originale proposée par Charles Neer, la résection acromiale se faisait par voie ouverte – l’acromioplastie à ciel ouvert, avec un ciseau à frapper et un marteau, mais elle a été abandonnée progressivement en faveur de l’acromioplastie arthroscopique qui était plus élégante et moins douloureuse.

 

Cette chirurgie avait pris tellement d’élan qu’un auteur a calculé qu’en 2006 l’acromioplastie avait connu une augmentation de 254,4 % par rapport au 1996 et que pendant la même période, le reste des opérations en régime ambulatoire n’avaient augmenté que de 78 %. Une étude rétrospective réalisée en Olmsted County, Minnesota montrait une augmentation de 575.8 % entre 1980 et 2005. En 2007, en matière de chirurgie ambulatoire le nombre des acromioplasties n’était devancé que par les résections du ménisque et en ce moment nous ne sommes fiers des résultats ni de l’une, ni de l’autre.

Pourtant, depuis 1978 déjà, les anatomopathologues on contesté autant le terme de tendinite qui signifie une inflammation des tendons de la coiffe des rotateurs, que la notion de lésions d’usure mécanique car il n’y avait pas des indices microscopiques caractéristiques pour ce type de problème. Ils étaient revenus à plusieurs reprises avec des articles à ce sujet qui clamaient fort qu’on se trompait sur la nature du problème, que rien ne soutenait la culpabilité de l’acromion, que les tendons n’étaient pas inflammés, mais nous étions tellement occupés avec le déluge d’acromioplasties qu’il nous restait à faire, qu’on n’avait pas le temps de les écouter.

 

A notre décharge, il était inutile de nous dire que ce n’était pas ceci ou cela, ce n’était guère constructif. Alors en 2003 une équipe de chercheurs japonais ont fini par nous dire ce qui ce passait vraiment au niveau de ces tendons de la coiffe: il s’agit d’un trouble dégénératif propre du tendon et pas de la conséquence d’une agression extérieure. Comme l’arthrose, la perte des cheveux, les rides etc, une question d’age. Le tendon est un tissu très résistant à la traction et cette qualité est assurée par une molécule longue appelée collagène de type I. Un tendon normal de la coiffe est constitué d’à peu prés 90% du collagène de type I, cela ressemble un peu à une corde où les petites fibrilles de coton sont le collagène et elles sont orientées dans la direction des forces de traction que l’on va appliquer à cette corde.

 

Les tendons sont des tissus vivants, et comme tous les autres tissus du corps humain, ils sont renouvelés tout au long de notre vie. Pour le tendon, le cycle de renouvellement semble durer à peu près 3 mois. Cela veut dire que votre tendon d’Achille droit n’est pas exactement le même qu’il était avant les vacances de l’année passée, il lui ressemble comme deux gouttes d’eau, mais aucune de ses fibrilles n’a été conservée, elle sont toutes plus ou moins neuves. Ce cycle de renouvellement tissulaire permet de gommer les conséquences des différents micro traumatismes auxquels nous avons exposé nos tissus et éventuellement de les faire évoluer selon la manière dont nous les sollicitons.

 

Il paraît que ce mécanisme de renouvellement tombe progressivement en panne vers l’age de 50 ans, mais pas chez tout le monde. Certains seront plutôt prédisposés a faire de l’arthrose, d’autres – de la cataracte, certains n’auront que peu de rides mais aussi très peu de cheveux, nous avançons dans l’âge chacun à sa sauce. On a un tas de données sur l’association familiale de la tendinopathie de la coiffe des rotateurs et il existe à ce jour 8 études qui mettent en évidence une corrélation entre 11 versions de variation génétique et le développement d’une rupture de coiffe. Les modifications moléculaires et tissulaires sont tellement complexes qu’il nous est impossible d’isoler un facteur unique qui les provoque, mais on peut au moins affirmer sans réserve que l’acromion n’en est pas coupable, c’est le tendon même qui se dégrade tout doucement. Cette prédisposition aura les mêmes conséquences chez l’agriculteur, le comptable, le joueur professionnel de poker et l’aide soignante de l’EHPAD.

 

Oui, c’est délicat, nous avons encore du mal à contredire nos patients qui sont convaincus être usés par des longues années de travail et oui, certaines professions laisseront des séquelles, y compris au niveau des tendons de la coiffe des rotateurs.

 

On va simplifier un peu les choses avec une analogie plus facile a visualiser. Si on fait rouler une voiture avec des jantes en tôle qui risquent fortement de rouiller au bout de 5 ans, il est fort probable qu’on aura des soucis à se faire une fois passé ce délai et on peut être quasi certains de perdre une roue après 10 ans, même si on en prend soin et on roule doucement. Maintenant, si vous ne roulez que sur des chemins forestiers, tous les jours et pas tout à fait doucement, la 6ème année promet d’être intéressante.

 

J’ai du apprendre, comme tout le monde, d’arrêter de dire «vous êtes usé par le travail» et d’affirmer ce que personne n’aime entendre «c’est l’âge». La majorité des patients viennent de passer la 50aine et ils ne s’attendent pas encore a en subir les conséquences. Nous, les chirurgiens, avons autant du mal a l’accepter que nos patients et pourtant les indices ont toujours été là. Rétrospectivement il est facile de pointer du doigt, ces inconsistances de la théorie du conflit sous acromial.

 

L’élagueur et le maçon, au bout d’un millier de cycles d’élévation des bras par jour, pendant 150 à 200 jours par an, vers l’age de 30 ans ne devraient avoir que des franges à la place des tendons et il devraient tous y passer, sans exception vers l’âge de 50 ans. Pourtant, y en a plein qui préféreront faire trois hernies discales ou deux prothèses sans jamais se plaindre de leurs épaules.

 

On disait aux enseignants que c’était de l’usure et les enseignants nous croyaient sur parole. Puis on tenait le même discours devant l'ouvrier dans les cultures hors sol.  Et pourquoi, bordel, les uns et les autres commencent à se plaindre à partir de 50 ans? Un plaquiste lève facilement les bras 100 fois plus que le commissaire de police en un jour de travail mais il ne vient pas nous voir 100 fois plus tôt. Si l’effort de démarrage de la tondeuse est suffisant pour provoquer une rupture du supra épineux, alors chaque match amateurs de rugby devrait garantir trente réparations des tendons de la coiffe. Imaginez vous nos salles d’attente.

C’est facile a ce dire en ce moment que c’était tellement évident qu’on aurait du s’en rendre compte d’emblée. On est toujours plus intelligents que les générations précédentes. Quelle idée de penser que le soleil tourne autour la terre ! En même temps, notre grande majorité avait appris pendant l’internat le terme ostéophyte sous acromial agressif et vers la fin on connaissait trois méthodes différentes pour réaliser l’acromioplastie parfaite. Les patients allaient bien, la terre était plate, nous étions satisfaits et les articles qui soutenaient que le résultat aurait été tout aussi réussi si on se limitait à la bursectomie nous gâchaient sérieusement le feng shui.

 

En effet, pour faire l’acromioplastie il faut d’abord voir l’acromion. Quand on introduit l’optique de la caméra sous l’acromion, tout ce qu’on voit c’est du tissu plus ou moins inflammatoire de la bourse sous acromiale, rien d’autre. C’est précisément la structure qui se fait écraser par la tête humérale lors de chaque mouvement du bras et c’est ce tissu qui contient la grande majorité des terminaisons nerveuses. C’est donc elle qui fait le plus mal une fois qu’elle devient inflammatoire. Alors, afin de voir l’acromion que l’on veut remodeler, on doit d’abord se débarrasser de la bourse sous acromiale qui le cache. C’est obligatoire. Cette partie de l’intervention s’appelle une bursectomie arthroscopique. Cela permet à la fois de visualiser la face inférieure de l’acromion et en même temps de réaliser une ablation du tissu inflammatoire douloureux.

 

Plusieurs auteurs ont démontré qu’en se limitant à l’ablation de la bursite sous acromiale on obtenait le même résultat qu’en faisant la bursectomie et l’acromioplastie. L’effet de la bursectomie est identique à l’effet de l’infiltration, ce qui est parfaitement logique, vu qu’elles visent à résoudre le même problème – l’inflammation de la bourse sous acromiale. Dans le premier cas on se débarrasse du tissu inflammatoire en l’enlevant ensemble avec la bourse. En injectant le corticoïde dans la bourse inflammée on vise à se débarrasser de l’inflammation tout en laissant la bourse sous acromiale en place. Deux manières de faire, le même résultat.

 

Il a été également prouvé qu’après l’acromioplastie arthroscopique les lésions de la coiffe des rotateurs continuaient à progresser au même rythme que chez les patients qui n’en ont jamais profité. Avec ou sans l’acromioplastie, les lésions des tendons continuaient de s’aggraver. Or si c’était l’acromion qui provoquait les lésions des tendons, une fois ce problème réglé, la coiffe aurait du se porter désormais bien.

 

L’accumulation de ces données a poussé nos sociétés savantes à revoir la théorie du conflit sous acromial et 40 ans après la publication par Charles Neer de ses résultats de l’acromioplastie cette mode devient désuète.

 

Nous n’avons pas arrêté de la faire pour autant. En France, après le congrès de la Société Française d’Arthroscopie de 2013, le nombre des acromioplasties avait chuté, suivant la tendance des scandinaves et des américains chez qui le déclin avait démarré vers 2008 – 2009.

 

Néanmoins, certains d’entre vous allez la retrouver dans vos compte rendus opératoires. Nous savons pertinemment que l’acromion n’y est pour rien, mais certaines épaules sont tellement serrées que vous et votre kiné allez certainement apprécier un petit bonus de dégagement, alors on le passe à la fraise à la fin de l’intervention. Ou peut-être aussi parce qu’on a du mal à s’abstenir.

 

On pratique plus récemment une forme modifiée qui vise à raccourcir l’acromion. Cela s’appelle une acromioplastie latérale et nous espérons ainsi changer légèrement la direction dans laquelle le deltoïde tire sur l’humérus. Et il y a aussi des ostéophytes issus de l’arthrose acromio-claviculaire que l’on vous enlèvera sans aucun scrupule, tellement qu’ils ont l’air méchants.

© 2020 par Dr Roman MARCHITAN

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